Tracés 38
Angoisse
Alors que l’angoisse comme catégorie est abondamment mobilisée pour désigner une sensation corporelle de mal-être propre à l’individu, ce numéro de Tracés propose de se pencher sur l’angoisse comme régime d’expérience face à l’incertitude, à partir des outils non plus de la psychanalyse mais des sciences humaines et sociales. Les articles du numéro abordent ainsi les logiques qui sous-tendent les modes de manifestation de l’angoisse, en prenant en compte leurs dimensions à la fois corporelle, discursive et esthétique, dans des articles originaux, un entretien ainsi qu’une œuvre graphique. L’éditorial revient en particulier sur la question du caractère socialement situé de l’expression de l’angoisse, dépendant à la fois d’un contexte institutionnel et de dispositions individuelles, mais aussi de leur caractère genré. Toutefois, l’analyse des manifestations de l’angoisse suppose d’abord de s’interroger sur leurs conditions de son objectivation dans le discours médical mais aussi par les sciences humaines et sociales prises dans leur diversité. Dans cette histoire, les perspectives décoloniales tiennent une place de choix, construisant le lien entre la décompensation angoissée du sujet et la déstructuration de la société. Explorant la saisie de la catégorie d’angoisse au chevet d’une mourante, d’un membre de l’élite coloniale de Singapour, des enseignant-e-s et des musicien-ne-s, d’une pédopsychiatre confrontée aux souffrances des enfants en butte à leur assignation sexuelle, le numéro analyse les modulations pratiques d’une catégorie perceptive et leurs implications politiques. De subjective, l’angoisse s’avère ainsi un régime émotionnel sous-tendant l’action humaine, partagé dans un espace et à une époque donnée. Les perspectives ouvertes par les contributions originales de ce numéro, au-delà de la psychanalyse et de la philosophie existentialiste, invitent donc à penser l’angoisse comme l’intelligence épistémique d’un horizon inquiétant d’incertitudes. Avec cette conception, c’est bien le sujet en tant qu’il est pris par l’émotion, dans une communauté de vie et d’expérience, et comme sujet propre de l’action, que donnent à lire l’ensemble des articles réunis.
Coordination : Annabelle Allouch, Camille Noûs, Nicolas Rabain, Christelle Rabier, Clémentine Vidal-Naquet
Éditorial
Annabelle Allouch, Christelle Rabier et Clémentine Vidal-Naquet
De l’individu au politique. L’angoisse comme régime d’expérience
Articles
Lara Bonneau
Angoisse, mélancolie et individuation : une généalogie du sujet moderne entre histoire de l’art et philosophie
Thomas Brisson et Camille Noûs
« I suppose we will hear more about you, Mr Lee ». Angoisse, politique et trouble colonial dans les dernières années de la Singapour britannique
Cassandre Ville
Faire du stress son métier : l’anxiété de performance chez les interprètes de musique classique
Ludivine Balland
Le désengagement impossible. L’angoisse des professeurs des écoles débutants
Lucas Brunet
Face à l’angoisse écologique : stratégies émotionnelles et engagements épistémiques en sciences de l’environnement
Dessin
Claire Le Men
L’autre côté
Traductions
Anthony Stavrianakis et Laurence Tessier
Angoisse : genèse d’un récit
Anselm Strauss et Barney Glaser
Angoisse. Extraits
Entretien
Agnès Condat, Annabelle Allouch et Nicolas Rabain
Accompagner des mineur-e-s transgenres et leurs parents. Manifestations et clinique de l’angoisse